8.4.10

Easy Conversation : Nicolas Premier



Si vous nous suivez depuis un moment, vous devez maintenant savoir qu' Africa is the Future est une marque street-wear qu'on adore. Il semblait donc évident que Nicolas Premier, photographe de talent et co-fondateur de AITF soit notre premier invité pour cette version frenchy de 'Easy Conversation'...

1. Parles nous un peu de l'équipe 'Africa is the Future'?

Patrick et moi, on s'est rencontré il y a plus de dix ans par le biais de la musique. C'est aussi grâce la musique, essentiellement afro-américaine, qu'on en est venu en remontant le temps à s'intéresser à l'Afrique et à son Histoire. De fil en aiguille, l'aspect social et politique de la culture noire américaine nous a amené à considérer le système, dans lequel elle née, dans sa globalité. Par ailleurs, le fait d'avoir tous les deux de la famille en Afrique, nous a permis d'avoir une vision de la réalité qui ne se cantonnait pas au regard que l'Occident porte sur ce continent et sur le reste du Monde en général. C'est aussi sans doute ce qui nous a poussé à vouloir donner naissance à AITF. Aujourd'hui, nos rôles au sein de cette structure correspondent grosso modo à nos cursus scolaires : Patrick gère l'aspect économique de notre activité et moi son développement artistique. En fait, si on compare au monde de la musique on pourrait dire qu' on fonctionne un peu comme un producteur et un MC.


2. Après un voyage au Congo, en 2001, vous créez la marque . Quel a été le déclic?

C'est long ! En fait, il y a eu trois déclics et c'est le voyage lui même qui a été le premier !

Le 11 Septembre 2001, j'étais dans un pays qui sortait d'une guerre civile "sponsorisée" par Elf (Total) et qui avait bénéficiée de la bienveillance de l'État français. Le problème est que cette guerre a fait plus de 300 000 morts et qu'en France comme dans le reste du Monde cet événement a volontairement été passé sous silence (cf "Noir Silence", de François Xavier Vershave aux éditions les Arènes). Alors quand j'ai vu la couverture médiatique consacrée aux attentats du 11 Septembre, j'ai vraiment eu l'impression qu'il y avait deux poids, deux mesures ! En revenant en France, je ne voyais pas comment mon travail artistique pouvait ne pas rendre compte de ce déséquilibre et ne pas lutter contre cette "sous représentation". J'ai commencé alors un travail pictural de portraits d'Africain(e)s. Parallèlement à çà, je m'intéressais beaucoup à l'histoire afro-américaine (le free-jazz, Malcom X, le Black Panthers Party) et j'ai créé des dizaines de slogans dans cet esprit, tout en réactualisant les termes. Parmi ces slogans, il y avait AFRICA IS THE FUTURE. En 2002, lors une exposition pour laquelle on m'avait proposé d'éditer 30 T-shirts, j'ai choisi de faire sérigraphier celui qui me semblait être le plus fort et j'ai donné ces T-shirts à mes potes.



Le deuxième déclic se passe en 2004 au cours de l'inauguration d'un atelier que je partageais avec d'autres artistes. Sur les 300 personnes présentes, une dizaine de mes potes portait le fameux T-shirt. L'intérêt qu'il a suscité nous a bluffé, Patrick et moi, car l'Afrique était au coeur de toutes les conversations ! La façon d'aborder le continent noir changeait et contrastait radicalement avec l'éternel misérabilisme occidental. Cela ouvrait de nouvelles perspectives sur la compréhension du Monde, hors des sentiers battus, en faisant marcher l'esprit critique. Les réactions que mes tableaux parvenaient à provoquer dans des espaces privilégiés étaient tout à coup décuplées du fait de la mobilité et de l'accessibilité du support. Par la suite, on s'est dit que la meilleure façon d'agir pour que cela se reproduise était de mettre encore plus de T-shirt en circulation ! On a donc commencé à produire des séries de 100 à 200 T-shirts qu'on vendait de façon totalement illégale dans la rue, les soirées, les concerts...
Le troisième déclic eu lieu en 2008. Jusque là, AITF n'était pas une "marque" pour nous. Nous n'en vivions pas et notre souci premier était que le slogan soit vu le plus possible, c'est tout! Mais, est venu un moment où nos jobs alimentaires ne nous permettaient plus de consacrer autant d'énergie et de temps à AITF. On a donc décidé de monter une structure "marque" (notre cheval de Troie!) qui nous permettrait de le faire tout en étant 100% indépendant, c'est à dire sans dépendre des subventions d'État et sans se faire récupérer par des majors.


 3.Quel est le message derrière le slogan?

On oublie souvent que c'est l'Afrique qui a connu les prémices du capitalisme et qu'il s'est construit sur son dos avec la mise en place d'un système reposant sur l'Exploitation, dont la première forme fût l'esclavage. Depuis, L'Afrique n'a cessé de conserver cette "avance" et, aujourd'hui encore, elle est emblématique des ravages de ce système et des différentes formes d'exploitations qu'il génère. C'est en Afrique que l'essence même de la logique capitaliste, dénuée de ses fioritures occidentales, est la plus visible : occupation militaire étrangère, pillage des matières premières, dictatures sponsorisées, disparition des services publics au profit des intérêts privés des multinationales, disparition des classes moyennes, enrichissement exponentiel des élites sociales... Ce système est en expansion continue par nature. Il est parti d'Afrique et n'a jamais cessé de s'étendre... Pour faire simple, on pourrait dire que l'Afrique d'aujourd'hui a le visage du Monde de demain !

Mais ceci est vrai pour une autre raison et elle est, pour nous, beaucoup plus réjouissante. Si les populations africaines sont confrontées depuis plusieurs siècles à la véritable nature du capitalisme, il n'est pas étonnant qu'aujourd'hui ce soit sur ce continent qu'émergent les manières d'agir les plus lucides face à l'Exploitation. En effet, il n'y a qu'à regarder ce qui se passe au large de la Somalie ou dans le delta du Niger ! La pêche intensive pratiquée dans les eaux européennes, par de véritables usines flottantes, ayant fini par épuiser de très nombreuses ressources maritimes, c'est désormais le long des côtes africaines que ces bateaux s'en vont poursuivre leur pillage industriel. Ceci a pour conséquence d'affamer des villages entiers de pêcheurs qui dépendaient essentiellement de la pêche vivrière pour survivre. Mais les populations concernées ont pris acte du caractère profondément criminel de l'expansion capitaliste : elles ont cessé de tendre la main pour brandir leur poing face à ces agressions.
En Occident, cette violence ne se manifeste pas avec autant de clarté, même si chaque année ce sont toujours un peu plus de travailleurs licenciés qui la découvrent . Ceci s'explique en partie parce que les "démocraties" des pays industrialisés possèdent "encore" un ensemble d'amortisseurs sociaux mais aussi parce que, grâce à la prédominance de l'Image et de la Communication, elles ont à leur service une machine de propagande très efficace qui permet de masquer, par un flou artistique, la véritable logique structurelle du système. Or si on ne perçoit pas la réalité des rapports de forces, il est difficile de s'en défendre et encore plus d'envisager de les détruire.
C'est là que le travail artistique peut être un de ces grains de sable qui vient, à répétition, nuire au bon fonctionnement d'un rouage bien huilé et ce jusqu'à ce que la machine rompe. Il s'agit de stimuler l'esprit critique, d'ouvrir des brèches dans un imaginaire formaté, de détourner de leur fonction les espaces marchands, d'interférer avec les discours officiels, de miner les piliers idéologiques sur lesquels repose la propagande du système. En un mot il s'agit de la pirater ! Or les actes de piraterie, aussi métaphoriques soient-ils, ne peuvent se réaliser qu'en totale indépendance.

4. Comment s'est passée la rencontre avec Nneka.

La première rencontre avec Nneka c'est faite avec un t-shirt lancé sur scène dans un festival, t-shirt qu'elle a ensuite porté dans de nombreux concerts.
Par la suite, on s'est recontacté par mail et on s'est véritablement rencontré à Paris, à l'Élysée Montmartre, avant un concert. Le courant est passé tout de suite. C'est une fille assez spontanée ! Kiss from Paris miss !

5. Sur quels projets autre travailles tu en ce moment

Je suis en train de travailler sur un projet visuel qui impliquera de la musique dans son développement et pour cela je bosse avec Dal Gren, un des plus talentueux et sûrement le plus atypique des producteurs français !
6. La marque, tu la vois où dans 5 ans ?

5 ans, c'est le temps qu'il nous a fallu pour construire notre indépendance. Maintenant que l'on commence à pouvoir réellement produire des projets de façon autonome, on va passer les cinq années à venir et les suivantes à mettre à profit cette liberté de création et d'expression ! Comme beaucoup de choses nous intéressent, cela peut passer par l'édition, la peinture, la vidéo ou bien encore la musique.
7. Quels sont tes cinq titres du moment?

1. "Time Control" de Walter Mecca
2. "Logic of da city" de Brice Torres aka Kirikoo
3. "Me and the Devil" de Gil Scott Heron
4. "No savior" de A-alikes
5. "Créature ratée" de Casey

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